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Amérique
Assurance et réassurance
Vers une stratégie nationale pour réduire les risques d’inondation
Tempêtes, pannes de courant, glissements de terrain, fermetures de routes : c’est en raison de ce bilan que les inondations de l’année dernière au Québec ont été désignées comme étant « l’événement climatique de 2019 ». En effet, des dizaines de milliers de résidences et de commerces ont été inondés et un nombre encore plus important de citoyens en ont été touchés.
Des inondations d’intensités variables se produisent chaque année au Canada. Historiquement, le pays a été vulnérable aux inondations dans diverses provinces. La vallée de la rivière Rouge au Manitoba est réputée pour être particulièrement sujette à la vulnérabilité situationnelle. Enregistrée en 1997, sa plus grave inondation a endommagé environ 1 000 propriétés. De même, l’inondation de 2013 en Alberta a entraîné des dommages matériels et des pertes financières d’environ 6 milliards de dollars, ainsi que l’évacuation de près de 80 000 personnes. Lorsqu’elles sont majeures et causent l’évacuation forcée de résidents, le fardeau économique qu’elles représentent peut mettre en péril la situation financière des entreprises et des citoyens affectés.
Comment peut-on se prémunir contre de tels risques? D’abord, il faut savoir que la plupart des polices d’assurance résidentielle de base ne couvrent pas les dommages résultant des inondations provoquées par le débordement d’un cours d’eau. Cette absence de couverture s’explique du fait que les zones inondables sont clairement identifiées et que la crue des eaux y constitue un phénomène naturel prévisible alors que le principe de base en assurance est de couvrir les situations « imprévisibles ».
Pourtant, depuis plusieurs années, certains aménagements du territoire créent des zones vulnérables et engendrent l’insuffisance des infrastructures d’évacuation. En Ontario, par exemple, l’évolution de la gravité des précipitations allant d’un extrême à l’autre a soulevé des inquiétudes quant à l’instabilité climatique et à la probabilité accrue d’inondations. Avec l’impact des changements climatiques, les dommages causés par l’eau continueront vraisemblablement d’augmenter en fréquence et en importance.
Réponse des assureurs
Considérant la multiplication des réclamations à ce titre, certains assureurs ont développé des produits pour répondre aux demandes des consommateurs cherchant une couverture d’assurance particulière aux inondations. Ces couvertures se font néanmoins plutôt rares et, si elles sont offertes, s’accompagnent généralement de franchises élevées jumelées à des limites de couverture peu élevées. Même si une offre de couverture existe pour certaines propriétés, celles qui sont situées dans les zones à haut risque d’inondations ne sont presque jamais couvertes.
En règle générale, les polices relatives aux inondations sont soumises à une limite. Cependant, plusieurs assureurs ont mis en place des avenants supplémentaires contre les inondations pour étendre la couverture des assurés. Bien que ces avenants aident à rationaliser le processus de réclamation, le langage utilisé pour définir le terme « inondation » a contribué à des litiges concernant l’application.
L’interprétation des tribunaux
Un récent jugement en Ontario, Treport Wedding & Convention Centre Ltd. c. Co-operators General Insurance Company, 2020 ONCA 487, traitait de ce sujet. À la suite d’un orage historique s’étant déversé sur la région du Grand Toronto le 8 juillet 2013, les locaux appartenant au Treport Wedding & Convention Centre Ltd. ont été inondés. L’eau s’est infiltrée dans le bâtiment par les portes, les drains de sol et les plafonds, et a causé d’importants dommages aux locaux. Une réclamation a été présentée à Co-operators, une société d’assurances générales en vertu de la police d’assurance « tous risques » (la « police »). Il y a eu un litige pour savoir si l’avenant de la police portant sur les inondations s’appliquait à la réclamation.
La Cour supérieure de justice de l’Ontario a statué que l’avenant sur les inondations ne s’appliquait pas pour deux raisons. Premièrement, le juge de première instance a conclu que les dommages aux biens de l’assuré étaient causés par « l’eau de surface », qui était définie dans la police comme « de l’eau ou des précipitations naturelles ruisselant temporairement sur la surface du sol ». Par conséquent, l’exclusion « eaux de surface » de la police avait pour effet d’exclure la couverture. Deuxièmement, le juge a conclu que l’incident n’avait pas été causé par une « inondation » au sens de l’avenant. Par conséquent, la Cour supérieure de justice de l’Ontario a statué que l’assuré n’avait pas droit à une couverture en vertu de l’avenant relatif aux inondations.
La Cour d’appel a revu en détail le libellé de la police afin de déterminer si l’incident constituait une « inondation » au sens de la police.
La Cour d’appel a conclu que le juge de première instance avait commis une erreur en important l’exclusion sur les inondations causées par des « eaux de surface » dans l’avenant pour deux raisons. Premièrement, la Cour d’appel a statué qu’un avenant ne fonctionne pas indépendamment de la police, car il n’existe pas sans elle; ils doivent être lus ensemble. Deuxièmement, donner effet à la définition d’« eaux de surface » lors de l’interprétation de l’avenant relatif aux inondations annulerait ou rendrait effectivement inopérante la couverture prévue. En effet, la couverture contre les inondations serait annulée dans presque tous les cas, car la plupart des bâtiments sont situés à une certaine distance de l’eau. Par conséquent, l’avenant relatif aux inondations doit être lu sans donner effet à l’exclusion des eaux de surface.
En outre, la Cour d’appel a conclu que l’incident était une « inondation » au sens de l’avenant relatif aux inondations. Le sens ordinaire du mot « inondation » comprenait « l’écoulement massif, puissant et rapide de l’eau » dans la propriété. De plus, cet avenant n’exigeait pas que le plan d’eau soit présent en permanence. En d’autres termes, un ruisseau ou un fossé de drainage constituent un « plan d’eau » même s’ils peuvent avoir été secs pendant plusieurs heures avant un débordement. Enfin, la Cour d’appel a réitéré que les dispositions accordant une couverture, comme l’avenant relatif aux inondations, doivent être interprétées au sens large. Sinon, son interprétation annulerait la couverture des « risques évidents » qui y sont identifiés et irait à l’encontre des attentes légitimes de l’assuré quant à la couverture achetée. En conséquence, l’avenant relatif aux inondations s’appliquait à la perte subie par l’assuré et causée par l’inondation.
Cependant, la couverture n’a pas toujours été accordée en faveur des assurés. Dans un jugement antérieur, Parker Pad & Printing Ltd. v. Gore Mutual Insurance Company, 2017 ONSC 3894, la Cour a rejeté la demande de couverture du demandeur en vertu de son avenant relatif aux inondations, invoquant le manque de preuve que les locaux endommagés entouraient un « plan d’eau. »
Solutions de rechange à l’assurance traditionnelle
En plus de l’assurance, il existe d’autres possibilités pour recevoir une indemnisation pour les pertes subies en raison d’une inondation. Cependant, il est important de noter que ces options de rechange sont également soumises à des limitations. Au Québec, par exemple, les citoyens peuvent avoir accès au Programme général d’indemnisation et d’aide financière du ministère de la Sécurité publique. Adopté par décret le 10 avril 2019, ce programme vise notamment à compenser les frais supplémentaires pour se loger et se nourrir pendant l’évacuation, à réparer ou remplacer les biens meubles essentiels qui ont été endommagés et à réparer les dommages à la résidence principale.
Maintenant plus restrictif qu’auparavant, le programme comporte plusieurs limites aux montants qui peuvent être octroyés.
Malgré tout, lorsque se produisent des inondations de l’ampleur de celles qui ont frappé le Québec au printemps 2019, ce sont par milliers que les citoyens se tournent vers leur gouvernement pour obtenir du soutien, lequel fait alors face à un fardeau économique très important. Il existe donc également des Accords d’aide financière en cas de catastrophes (AAFCC) du fédéral, gérés par Sécurité publique Canada, pour indemniser les sinistrés et financer le rétablissement.
Les enjeux liés aux inondations continuent d’être une préoccupation partout au pays. Le gouvernement fédéral s’est récemment penché sur la création d’un programme national d’assurance inondation à faible coût afin de protéger les propriétaires de maisons à haut risque d’inondation qui ne bénéficient pas d’une protection d’assurance adéquate. Interrogée sur les développements du programme, Sécurité publique Canada n’a pas offert de réponse directe, exprimant simplement « une pleine considération » pour les recommandations proposées par le BAC dans son rapport publié en juin 2019, intitulé Options de gestion des coûts de propriétés résidentielles les plus à risque d’inondation au Canada.
Les gouvernements d’autres pays ont déjà mis en place des mesures similaires pour faire face au problème d’assurabilité des risques liés aux inondations. Au Royaume-Uni, on a lancé Flood Re, un réassureur subventionné par une taxe imposée à tous les transporteurs qui souscrivent des assurances habitation. Aux États-Unis, le National Flood Insurance Program (NFIP) a été créé en 1968. Pour bénéficier d’une assurance inondation dans le cadre du NFIP, une propriété doit se trouver dans une communauté qui a adhéré au programme et qui accepte d’appliquer des normes de gestion saine des plaines inondables. Dans certains cas, les primes du NFIP peuvent être subventionnées.
Un retrait complet de l’aide gouvernementale permettrait d’un côté au gouvernement de mettre l’accent sur l’atténuation plutôt que la gestion de catastrophes, domaine dans lequel les assureurs sont généralement plus efficaces, mais pourrait d’un autre côté mener à de l’évitement de la part des propriétaires, ne souscrivant tout simplement plus à une assurance et risquant la ruine financière en cas de sinistre. À l’inverse, en insistant trop sur l’accessibilité de l’assurance (en subventionnant les primes, par exemple), il y a une possibilité que le taux de prime payé ne reflète pas le risque réel de perte et que les fonds disponibles en cas de sinistres s’avèrent insuffisants.
En bref, quel que soit l’angle par lequel on aborde le problème, l’attribution des coûts entre le citoyen, son assureur et les deux paliers de gouvernements après une inondation représente un véritable casse-tête. C’est d’ailleurs l’une des raisons pour lesquelles chacun de ces acteurs doit investir plus d’efforts dans la mise en place de mesures préventives, plutôt que correctives. Qu’il s’agisse d’élever des équipements critiques (chauffage, ventilation, transformateurs électriques, systèmes de communication, etc.) au-dessus des niveaux d’inondation prévus dans les immeubles commerciaux ou même d’utiliser une technologie permettant à un bâtiment de rester au-dessus du niveau de l’eau pendant une inondation, il ne fait pas de doute qu’en améliorant les infrastructures et qu’en employant des mesures préventives, on contribue à réduire le risque et à le rendre du même fait un peu plus assurable.
Fin