Affaire de la pyrrhotite : l'enquête de l'assureur et les risques « notoires »

  • Développement en droit 27 avril 2020 27 avril 2020
  • Amérique du Nord

  • Assurance et réassurance

Dans ce premier article de notre série portant sur la décision récente de la Cour d’appel dans Deguise c. Montminy, qui a donné raison à des victimes de la pyrrhotite, Laurent Lacas jette un regard sur les leçons à tirer du processus de souscription effectué par l’assureur, qui risque de passer à côté de faits « notoires ».

Affaire de la pyrrhotite : l'enquête de l'assureur et les risques « notoires »

Historique de l'affaire

Cette affaire, nommée ainsi en raison d'un sulfure de fer qui, lorsque présent dans le granulat de pierre à béton est susceptible de causer des réactions chimiques hautement indésirables a donné naissance à trois vagues de recours impliquant vendeurs, entrepreneurs généraux, bétonnières, une société exploitant une carrière, un géologue et une firme d'ingénieurs, et bien entendu, diverses compagnies d’assurance ayant conclu des contrats avec l’une ou l’autre des parties dont la responsabilité est recherchée. La première vague regroupe plus de 880 actions et concerne 832 immeubles, dont 446 résidences unifamiliales, 312 jumelés, 56 immeubles multi logements et 18 immeubles commerciaux. La Cour supérieure a tranché les litiges de la premières vagues en rendant 69 jugements. Les deuxième et troisième vagues sont toujours pendantes en première instance alors que la Cour d'appel rendait récemment sont arrêt à la suite de l'appel dans la première vague.

Mise en contexte de l'article

Lors de l'appel, certains des assureurs des carrières et bétonnières ont pris la position que les polices d'assurance responsabilité civile étaient nulles ab initio. Leurs assurés avaient fait défaut de mentionner à l'époque pertinente les circonstances connues quant aux risques reliés à la présence de pyrrhotite dans l'agrégat des carrières et bétonnières.

Procès

Au procès en Cour supérieure, le juge Michel Richard avait rappelé que l'assuré est tenu de déclarer à son assureur toutes les circonstances connues pouvant influencer l'appréciation du risque. Cependant, l'assureur ne peut se contenter d'un rôle passif et doit prendre les mesures raisonnables afin de porter à son attention certains risques « notoires ». La notion de « notoriété » étant appréciée à travers les yeux du souscripteur raisonnablement compétent.

Le juge Richard avait reproché aux assureurs de certaines carrières et bétonnières de ne pas avoir atteint cette norme. Premièrement, l'assureur primaire n'aurait pas suivi ces lignes directrices exigeant de tenir compte de la localisation du risque (c’est-à-dire l'endroit où se trouvaient les carrières), et de ne pas avoir échangé suffisamment avec le département des réclamations qui avaient pourtant rencontré certains problèmes avec la pyrrhotite avant la souscription du risque. Deuxièmement, selon le juge Richard, les assureurs auraient dû transmettre à leurs experts internes les questions quant aux dangers reliés à la présence de pyrrhotite dans le granulat, ce qui n'a pas été fait. Par conséquent, il a jugé que les réticences reprochées aux assurées étaient d'un impact considérablement moindre une fois que le comportement des assureurs avait été pris en compte.

Appel

En appel, les mêmes assureurs ont avancé que le juge Richard leur imposait une obligation plus onéreuse que celle prévue par la loi, et qu'il avait confondu la connaissance des faits des assureurs primaires et excédentaires. La Cour d'appel s'est de nouveau rangée du côté des assurés.

Quant au devoir d'enquête de l'assureur, la Cour d'appel rejette la proposition selon laquelle le juge de procès avait imposé un devoir d'enquête « indu » aux assureurs. Elle réitère que le devoir d'enquête de l'assureur est de prendre connaissance des renseignements notoires disponibles pour un souscripteur raisonnablement compétent œuvrant dans son domaine d’expertise. C'est plutôt le défaut de l'assureur primaire de suivre ses propres lignes directrices de souscription (c’est-à-dire l’enquête sur la localisation du risque et les contacts avec le département des réclamations) qui a mené le juge de procès à conclure qu’il n'avait pas enquêté le risque de façon suffisante. Quant à l'assureur excédentaire, celui-ci ne s’était pas comporté de façon raisonnable dans son évaluation du risque étant donné que ses souscripteurs ne disposaient pas de directives écrites ou de bulletin d'information. Même si l'assureur excédentaire n'avait aucun contact avec l'assureur primaire, une situation considérée comme acceptable étant donné la concurrence entre les deux, il n'avait pas obtenu auprès du preneur ou du courtier les « renseignements les plus élémentaires sur les opérations de l'assuré ».

Ensuite, la Cour d'appel reconnaît que le juge de procès n'avait pas nécessairement identifié les éléments de preuve les rapportant à l'assureur primaire et à l'assureur excédentaire. Toutefois, après révision de la preuve, elle suggère que tous les éléments nécessaires étaient déjà réunis pour établir la connaissance distincte des assureurs primaires et excédentaires.

Bien que la Cour d'appel suggère que l'obligation de l'assureur n'a pas été modifiée par le jugement de première instance, il faut retenir certains des commentaires formulés.

Premièrement, les lignes directrices (incluant des directives écrites ou bulletins d'information) apparaissent maintenant centrales à l'analyse du caractère raisonnable de l'enquête d'un assureur. Si de telles lignes directrices sont disponibles, celles-ci devront être respectées par les souscripteurs sous peine d'inférence négative de la part d'un tribunal. Inversement, si un assureur ne dispose pas de telles lignes directrices, cela sera également considéré de façon négative par le tribunal.

Deuxièmement, le devoir d'enquête de l'assureur excédentaire n'est pas moins onéreux que celui d'un assureur primaire. Malgré la compétition existante entre les deux, l'assureur excédentaire doit communiquer avec le preneur (l'assuré) ou son courtier afin d'obtenir les informations pertinentes quant aux opérations de l'assurée et les réclamations précédentes.

Conclusion

Parmi les nombreuses leçons à tirer de cette décision, il faut retenir l'importance d'un processus de souscription contenant des attentes claires quant aux risques acceptables et aux mesures qui doivent être prises pour enquête sur ces risques. Par contre, le corollaire de ce principe est qu'une attention égale doit être accordée à l'application de ces lignes directrices.

Fin

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