Affaire de la pyrrhotite : les complications engendrées par les tours d’assurance

  • 21 mai 2020 21 mai 2020
  • Amérique du Nord

  • Assurance et réassurance

Dans le cadre de notre série sur l’arrêt historique de la Cour d’appel sur la pyrrhotite [1] dans l’affaire Deguise c. Montminy, Catherine Tyndale et William Plante-Bischoff analysent les enjeux de couverture de l’assurance responsabilité professionnelle de SNC.

En confirmant la décision du juge de première instance concernant la responsabilité de SNC-Lavalin, la Cour d’appel a dû se pencher sur une série d’enjeux de couverture impliquant les assureurs de responsabilité professionnelle de la société d’ingénierie. Le lecteur se souviendra que le géologue André Blanchette de l’équipe de SNC s’était porté garant, dans ses rapports, de la conformité du granulat problématique du béton utilisé pour la construction des fondations endommagées.

Les assureurs de SNC ont participé à une tour d’assurance à plusieurs rangs, fournissant une couverture séquentielle au fur et à mesure que les montants de chaque police sous-jacente étaient épuisés. Toutes les polices de la tour ont été émises en fondant le déclenchement de la couverture sur la base des réclamations présentées, plutôt que sur la base de la date de l’erreur ou de l’omission sous-jacente.

Les assureurs ont d’abord tenté de limiter leur responsabilité en faisant valoir qu’une seule tour s’appliquait aux réclamations découlant des erreurs de Blanchette – celle couvrant la période d’assurance 2009-2010 – indépendamment de la date à laquelle ont été présentées les réclamations. Pour étayer leur argument, ils ont cité une clause de la police de référence qui stipule que les réclamations découlant d’une seule erreur, omission ou négligence doivent être considérées comme une seule réclamation. La Cour d’appel n’était pas du même avis, estimant que cette clause avait pour but de regrouper les réclamations faites à l’encontre de SNC et déclarées aux assureurs au cours d’une seule période d’assurance, afin d’éviter l’application multiple de la franchise. Toutefois, la police ne permettait pas le cumul au-delà de cette période d’assurance.

Deuxièmement, les assureurs ont fait valoir, en s’appuyant sur une autre clause de la police de référence, que les réclamations découlant d’un événement déjà signalé devraient être considérées comme étant présentées pendant la durée de la police applicable au moment de l’avis. Là encore, la Cour d’appel n’était pas du même avis, concluant que l’objectif de cette clause était de protéger l’assuré dans le cas où l’assureur ne renouvelle pas la police, après avoir été avisé d’un événement qui pourrait donner lieu à des réclamations supplémentaires dans les années à venir. Selon la Cour d’appel, ces clauses visent à prévenir les lacunes sur le plan de la couverture en obligeant l’assureur à couvrir tous les sinistres liés à des événements qui ont déjà été signalés. Dans cette affaire, les assureurs de SNC avaient renouvelé les polices après avoir reçu un avis de réclamations liées aux erreurs de M. Blanchette. Il n’y avait pas de lacune prévisible sur le plan de la couverture, et SNC était en droit d’être couvert par la tour d’assurance pour les périodes d’assurance au cours desquelles les réclamations ont été présentées. Selon la Cour d’appel, la situation aurait été différente si les polices n’avaient pas été renouvelées, et qu’un autre assureur était intervenu a posteriori avec une autre couverture.

Les assureurs de SNC ont également tenté de limiter la couverture à une seule période d’assurance en invoquant une clause de « connaissance préalable » qui excluait les événements qui avaient déjà été signalés aux assureurs sur toute autre police antérieure, ou qui étaient précédemment connus de l’assuré. La Cour d’appel a de nouveau rejeté l’argument, estimant que la clause visait à exclure la couverture des réclamations liées à des événements qui avaient été signalés à un autre assureur, afin d’éviter une double indemnisation. Puisque les assureurs de SNC avaient renouvelé leurs polices, ils auraient dû utiliser un libellé plus précis indiquant que l’exclusion s’appliquait aux questions signalées au titre de toute police antérieure, y compris celles dont la police actuelle était un renouvellement ou un remplacement, afin que l’exclusion fonctionne comme les assureurs prétendaient qu’elle devait le faire.

Rétroactivité

Un des assureurs excédentaires de SNC, Assurance-Vie ACE INA, remarquant que ses polices incluaient une date rétroactive au 31 mars 2006, a soutenu que toute réclamation découlant d’actes fautifs commis avant cette date était exclue de sa police. La Cour d’appel n’était pas du même avis, estimant que tous les assureurs excédentaires de SNC avaient émis leurs polices sur la base d’une « garantie de continuité » et avaient donc accepté d’être liés par les conditions de la police de référence de l’assureur primaire. Bien que la politique de référence permette à l’assureur primaire d’inclure une date rétroactive dans ses déclarations ou son annexe, cela n’avait pas été fait dans ce cas. L’effet pratique de la date de rétroactivité de ACE aurait dû être d’exclure les sinistres autrement couverts par les polices sous-jacentes. En raison de cette divergence, la Cour a estimé que les conditions de la politique de référence devaient prévaloir et que la date de rétroactivité de ACE n’était pas valable. Cela a également mis en lumière le témoignage du représentant de SNC, qui a déclaré qu’il n’a été informé de la date de rétroactivité de la police de ACE qu’après le début du litige, et qu’il n’aurait pas accepté une telle condition s’il l’avait connue au moment où les polices ont été émises

et renouvelées. ACE a également demandé à la Cour d’appel de répartir le paiement entre les assureurs selon le risque conformément à l’article 469 du Code de procédure civile, qui exige que le juge de première instance détermine la part de chaque défendeur dans le paiement des dommages, mais seulement si les preuves le permettent. Dans cette affaire, a jugé la Cour d’appel, le juge de première instance n’avait pas de telles preuves et a demandé que la question soit résolue par la Cour supérieure à une date ultérieure, si nécessaire.

Compétence législative et choix du territoire

Un autre des assureurs excédentaires de SNC, Zurich compagnie d’assurances SA, a invoqué une disposition relative à la « compétence législative » indiquant que sa police était régie par la loi ontarienne. Il a donc soutenu que le droit québécois ne s’appliquait pas à sa police.

La Cour d’appel a répondu qu’en vertu de l’article 3119 C.c.Q., le droit québécois s’applique à une police d’assurance, nonobstant toute convention contraire, si elle couvre un bien ou un intérêt situé au Québec ou si une personne résidant au Québec l’achète au Québec,

Il est intéressant de noter que la politique de référence contient un mécanisme permettant l’érosion des montants par le paiement des frais juridiques et autres dépenses liées à la réclamation, à condition qu’il soit conforme au droit québécois. Cela signifiait en fait que la déduction de ces frais et dépenses du produit de l’assurance en vertu de la loi albertaine pouvait être opposée aux demandeurs en Alberta, mais pas aux demandeurs au Québec. En d’autres termes, le produit de l’assurance disponible pour les demandeurs variera en fonction du lieu où les réclamations sont présentées.

En appliquant ce raisonnement, il est concevable qu’on ait épuisé les montants payables d’une police originale en payant les frais de défense au sein d’un territoire qui le permet. En attendant, le montant intégral resterait disponible pour les demandeurs résidant au Québec, et l’assureur serait obligé de payer les frais de défense en plus des montants d’assurance. Cela rendrait problématiques le déclenchement et le fonctionnement de polices complémentaires.

[1] SNC-Lavalin inc. (Terratech inc. et SNC-Lavalin Environnement inc.) c. Deguise, 2020 QCCA 495

Fin

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