Affaire de la pyrrhotite : ce qu’il faut prendre en compte lors de l’évaluation du risque

  • Étude de marché 20 mai 2020 20 mai 2020
  • Amérique du Nord

  • Assurance et réassurance

Dans le cadre de notre série sur le récent arrêt de la Cour d’appel dans l’affaire Deguise c. Montminy, concernant la première vague de procès liés à l’effritement de fondations en béton en raison de la présence de pyrrhotite, Trevor McCann, Catherine Tyndale et William Plante-Bischoff examinent la manière dont le tribunal a traité les questions relatives à la responsabilité des entrepreneurs.

Dans un article précédent de la série, nous avons examiné le contexte de l’affaire de la pyrrhotite, et nous avons abordé les conclusions de la Cour d’appel concernant la responsabilité des différentes parties impliquées.

Nullité ab initio

L’un des principaux arguments avancés par les assureurs des fournisseurs de béton visés par les poursuites concernant l’affaire de la pyrrhotite était que le juge de première instance aurait dû déclarer leurs polices nulles dès le départ (ab initio). Ils ont estimé que les fournisseurs, Construction Yvan Boisvert inc. et Béton Laurentides inc. et la société qu’ils détenaient et administraient conjointement, Carrière B&B inc. qui exploitait la carrière d’où provenaient les granulats problématiques, avaient omis de divulguer des informations pertinentes pour leur évaluation du risque.

La Cour d’appel a rejeté les arguments des assureurs. En vertu de l’article 2408 du Code civil du Québec, l’assuré doit divulguer toute information ou circonstance pertinentes pour l’évaluation du risque par l’assureur. Le tribunal a estimé que pour que la police soit déclarée nulle, l’assureur doit établir la preuve qu’il n’aurait pas couvert le risque s’il avait connu les informations ou les circonstances que le client a omis de divulguer, et doit également établir la preuve qu’un assureur raisonnable n’aurait pas couvert ce risque. De plus, le client n’est pas tenu de déclarer les circonstances que l’assureur connaît ou est présumé connaître en raison de sa notoriété.

La Cour d’appel se dit d’accord avec l’affirmation des assureurs, selon laquelle Béton Laurentides et B&B auraient dû leur fournir une copie du rapport Bérubé émis en mai 2002 lors de leur demande d’assurance. Cependant, l’assureur Northbridge avait décidé de renouveler la police sans ajouter d’exclusion, même après que Béton Laurentides et B&B aient déclaré des réclamations liées à la présence de pyrrhotite dans le béton.

À ce moment-là, Northbridge avait également reçu le rapport Bérubé et avait conclu qu’il ne contenait rien d’important. Par conséquent, la Cour a estimé que Northbridge, en raison de son comportement, ne pouvait pas établir qu’elle n’aurait pas couvert le risque si elle avait eu connaissance du rapport Bérubé.

Connaissances préalables

La Cour d’appel a également conclu que Northbridge connaissait des défaillances similaires résultant de bétons fabriqués avec des granulats extraits de la carrière voisine de Maskimo, qu’elle assurait également. Northbridge avait même reçu un courriel en 2003 d’un employé de Maskimo attribuant ces défaillances à la présence de pyrite et de pyrrhotite. C’était avant que Béton Laurentides et B&B ne souscrivent leur police et, par conséquent, ils n’étaient pas tenus de signaler ces défaillances, puisque Northbridge les connaissait déjà.

La Cour d’appel s’accordait avec le juge de première instance, qui évoquait que Northbridge n’avait pas suivi ses directives en offrant une couverture à B&B sans avoir mené au préalable une enquête approfondie sur ses produits et ses activités. Un enquêteur de Northbridge a témoigné que ni lui ni le souscripteur responsable du compte n’ont jamais interrogé B&B sur l’emplacement de sa carrière.

En ce qui concerne la couverture de Construction Yvan Boisvert, Northbridge a eu accès à des informations pertinentes sur des réclamations précédemment déposées contre Béton Laurentides et B&B. Northbridge n’a pas réussi à démontrer une fois de plus qu’elle n’aurait pas renouvelé sa police si elle avait été informée des réclamations que Construction Yvan Boisvert a omis de divulguer.

L’assureur excédentaire

Quant à la couverture excédentaire de AIG, la Cour d’appel a conclu que son évaluation du risque reposait uniquement sur les rapports de pertes que les assurés émettaient annuellement, avant le renouvellement de la police. AIG n’a pas interrogé Béton Laurentides ou B&B à propos des réclamations pour lesquelles aucun montant n’avait été provisionné par Northbridge, car AIG n’était concerné qu’au-dessus du montant de la police de première ligne de 2 000 000 $. Béton Laurentides et B&B ont signalé de multiples réclamations concernant des défaillances de murs de fondation, dont deux qui faisaient référence à la « pyrite ».

Malgré cela, AIG a renouvelé sa police. Le juge de première instance a donc eu raison de rejeter la demande de AIG de prononcer la nullité ab initio. La Cour d’appel a également conclu que AIG n’avait pas agi en tant qu’assureur raisonnable en omettant d’enquêter sur la nature des réclamations déclarées à l’assureur principal.

Toutefois, la Cour d’appel a convenu avec le juge de première instance que la recommandation émise le 28 novembre 2007 par le géologue Alain Blanchette de cesser l’utilisation des granulats extraits de la carrière de B&B aurait dû être rapportée aux assureurs conformément à l’article 2408 C.c.Q. Comme les fournisseurs et B&B ne l’ont pas fait, Northbridge et AIG étaient en droit de considérer leurs polices comme nulles à partir du moment où leurs assurés avaient reçu le rapport.

Une occurrence vs plusieurs occurrences

Les assureurs n’ont pas non plus réussi à faire valoir que le juge de première instance n’avait pas appliqué la clause « Prior Insurance and Non-Cumulation of Liability » dans la police de AIG. Cette clause prévoyait que les montants d’assurance pour une année donnée devaient être réduits de tout montant dû au titre d’un sinistre couvert, en tout ou en partie, par une police antérieure, sur la base d’une « occurrence » unique (définie comme « un événement, y compris l’exposition continuelle ou répétée à des risques de même nature »). La Cour d’appel a conclu que les réclamations reçues par les fournisseurs et B&B résultaient de multiples occurrences dans des circonstances diverses. Plus de 800 bâtiments, appartenant à plusieurs propriétaires, ont été endommagés. Deux sociétés différentes avaient mélangé le béton à des moments différents, et les niveaux de pyrrhotite dans le béton variaient.

Libellé de l’exclusion

Northbridge et AIG ont en outre affirmé que leurs polices excluaient les risques liés à la « pyrite », et que l’exclusion devrait s’étendre à la pyrrhotite. La Cour d’appel a rejeté cet argument, estimant que la pyrite et la pyrrhotite sont deux types différents de sulfates de fer ayant des propriétés différentes. Elle était en accord avec le juge de première instance, qui affirmait que les dommages étaient causés par la pyrrhotite, une substance cent fois plus réactive que la pyrite.

Enfin, les assureurs ont affirmé que les dommages n’étaient survenus que 20 mois après la coulée du béton. Là encore, la Cour d’appel s’est rangée du côté du juge de première instance en appliquant la théorie du « Continuous Trigger » ou du « Triple Trigger » selon laquelle les dommages sont réputés avoir été causés depuis l’exposition initiale jusqu’au moment où ils se manifestent.

Fin

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