Nelson (Ville) c. Marchi : Ouvrir la voie à l’immunité accordée à l’égard des décisions de politique générale fondamentale

  • Développement en droit 30 octobre 2021 30 octobre 2021
  • Amérique du Nord

Introduction

Au Canada, selon un principe juridique de longue date, les décisions prises par les autorités publiques bénéficient d’immunité contre toute responsabilité fondée sur des allégations de négligence. Comme l’a expliqué la Cour suprême du Canada, ce principe repose sur la reconnaissance du fait que les organismes gouvernementaux doivent prendre des décisions en soupesant une variété de facteurs concurrents et que certaines décisions auront, inévitablement, un effet négatif sur certaines personnes. Bien entendu, les organismes publics, tels que les municipalités, sont souvent les parties défenderesses dans le cadre des recours fondés sur la négligence et, sans surprise, l’immunité politique est souvent invoquée comme moyen de défense.

Dans l’arrêt récent Nelson (Ville) c. Marchi (Marchi) [1], la Cour suprême du Canada propose une nouvelle façon d’identifier les décisions de « politique générale fondamentale » qui bénéficient de l’immunité contre la responsabilité liée à la négligence. Cet arrêt est important pour les municipalités et leurs assureurs; il permet d’évaluer les risques possibles en cas de nouvelle réclamation.

Les faits

Taryn Marchi a intenté une action contre la Ville de Nelson, en Colombie-Britannique, après s’être blessée à la jambe en tentant de traverser un banc de neige entre une place de stationnement et un trottoir municipal. Selon la preuve présentée durant le procès, à la suite d’une forte chute de neige, la Ville avait effectué des opérations de déneigement conformément à ses politiques écrites et non écrites. À l’endroit où Mme Marchi est tombée, les employés de la Ville avaient déneigé les places de stationnement dans une rue du centre-ville et avaient ainsi créé un banc de neige le long du trottoir. Cependant, les employés de la Ville n’avaient pas dégagé de chemin pour permettre aux conducteurs d’accéder au trottoir. Mme Marchi s’était stationnée dans l’une des places de stationnement et avait ensuite tenté de se frayer un chemin dans le banc de neige.

Le juge de première instance a statué que la Ville n’avait pas de devoir de diligence envers Mme Marchi, étant donné que les décisions de la Ville relatives au déneigement étaient des décisions de politique générale fondamentale. La Cour d’appel de la Colombie-Britannique a infirmé la décision du juge de première instance concernant la question de politique générale fondamentale et la question du devoir de diligence de la Ville envers la demanderesse. La Cour d’appel a ensuite ordonné un nouveau procès sur les questions de la norme de diligence et de la causalité. La Cour suprême du Canada a confirmé l’arrêt de la Cour d’appel ayant ordonné un nouveau procès et a clarifié l’analyse de la politique générale fondamentale et a confirmé le devoir de diligence de la Ville envers Mme Marchi.

L’arrêt de la Cour suprême

Dans son arrêt du 21 octobre 2021, la Cour suprême du Canada a jugé que la décision de la Ville dans cette affaire n’était pas une décision de politique générale fondamentale bénéficiant d’immunité et que la Ville avait donc un devoir de diligence envers Mme Marchi. Elle a plutôt conclu que, en l’occurrence, la décision de déneiger les stationnements était plutôt une décision opérationnelle ou la mise en œuvre d’une politique de déneigement. À ce titre, la procédure de déneigement était assujettie au contrôle de la cour.

Plus important encore, la Cour a énoncé quatre facteurs à considérer pour déterminer si une décision contestée d’un organisme public devrait bénéficier d’immunité (les « facteurs Nelson ») :

  1. Le niveau hiérarchique et les responsabilités de la personne qui décide;
  2. Le processus suivi pour arriver à la décision;
  3. La nature et la portée des considérations budgétaires; et
  4. La mesure selon laquelle la décision était fondée sur des critères objectifs.

En ce qui concerne le premier facteur, la Cour a souligné que l’accent doit porter sur le lien entre la personne qui prend la décision contestée ou la personne dont le comportement est en cause et le fonctionnaire démocratiquement élu qui assume la responsabilité des décisions de politique publique. Les décisions prises par des personnes qui ont des fonctions éloignées de celles du fonctionnaire tenu responsable par ses électeurs sont moins susceptibles de bénéficier de l’immunité accordée à l’égard des décisions de politique générale fondamentale[2].

Pour ce qui est des autres facteurs, l’analyse doit se concentrer sur l’ampleur du processus permettant d’arriver à la décision. Les décisions qui nécessitent un débat approfondi, des délibérations, la contribution de différents niveaux d’autorité et qui impliquent des considérations budgétaires générales sont plus susceptibles de constituer des décisions de politique générale fondamentale, à l’abri de tout contrôle. Enfin, lorsque les décisions nécessitent une mise en équilibre de diverses considérations subjectives et concurrentes, celles-ci sont plus susceptibles d’engager l’immunité. Une décision contraire obligerait le tribunal à substituer son propre jugement de valeur à celui d’une autorité gouvernementale démocratiquement élue.

De manière générale, la Cour a souligné que l’analyse doit demeurer axée sur la raison d’être qui sous-tend l’immunité accordée à l’égard des décisions de politique générale fondamentale ; elle « sert de principe directeur général quant à la manière de mettre en balance les facteurs dans l’analyse »[3]. Autrement, « la protection des compétences et des rôles institutionnels fondamentaux des branches législative et exécutive nécessaires à la séparation des pouvoirs »[4] devrait sous-tendre tout argument préconisant l’application de l’immunité accordée aux décisions de politique fondamentale à une conduite ou à une décision contestée.

Points à retenir

L’arrêt Marchi énonce clairement les facteurs qu’un tribunal doit considérer pour évaluer une défense d’immunité liée aux décisions de politique fondamentale. Pour bénéficier de l’immunité, une décision doit être prise à un niveau suffisamment élevé et impliquer un véritable examen des divers intérêts concurrents qu’un gouvernement devrait normalement prendre en considération dans l’exercice de son pouvoir.

Lorsque la conduite ou la décision en cause est le résultat de l’analyse indépendante d’un/e seul/e employé/e, Marchi indique qu’il est peu probable qu’un tribunal conclue à l’application de l’immunité liée aux décisions de politique fondamentale. D’autre part, si une politique soigneusement étudiée et articulée a été mise en œuvre, mais qu’un accident se produit malgré tout, la municipalité pourrait bien être exonérée de toute responsabilité.

Les défendeurs municipaux et leurs avocats devraient examiner cet arrêt et réfléchir aux preuves qui seraient nécessaires pour soutenir une défense d’immunité liée aux décisions de politique fondamentale selon les facteurs Nelson. De même, lorsqu’ils évaluent les réclamations contre leurs assurés, les assureurs doivent analyser si une défense fondée sur l’immunité liée aux décisions de politique fondamentale a une réelle chance de succès ou si, en fin de compte, la question en litige met en cause une décision opérationnelle. 

Il convient de noter qu’une partie de l’analyse visant à reconnaître une décision de politique fondamentale consiste à déterminer la portée du processus décisionnel — plus les responsables municipaux participent à la création de protocoles et de procédures d’entretien, plus il est probable qu’ils bénéficient de l’immunité accordée aux décisions de politique fondamentale. À la lumière de ce facteur, les municipalités pourraient souhaiter évaluer le degré de pouvoir discrétionnaire et décisionnel accordé aux employés individuellement lorsqu’il s’agit de mettre en œuvre les politiques municipales.

Il est également important de noter que cet arrêt aura des répercussions au-delà des réclamations découlant des opérations de déneigement. Il existe de nombreux scénarios factuels où l’immunité accordée aux décisions de politique fondamentale pourrait être importante pour les défendeurs municipaux. Bien que l’arrêt Marchi ne crée pas une nouvelle cause d’action ni une nouvelle défense, il fournit une voie beaucoup plus claire pour déterminer la force de la position de chaque partie et évaluer la probabilité de succès de cette défense au procès.

 

 

 

[2] Nelson c. Marchi, paragr. 63.

[3] Nelson c. Marchi, paragr. 68.

[4] Nelson c. Marchi, paragr. 68.

Fin

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